La Lutte Contre La Covid-19 Au Cameroun : Analyse Des Actions D’achat Strategique Liees A La Reponse A La Pandemie

Gislaine Takoguen et Isidore Sieleunou

Research for Development International, Yaoundé, Cameroun

La pandémie de COVID-19 a été déclarée Urgence de Santé Publique de Portée Internationale (USPPI) par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) le 30 janvier 2021. Depuis lors, le nombre total de cas COVID-19 n’a cessé d’augmenter à un rythme alarmant à travers plusieurs pays dans le monde en général et en Afrique en particulier. Après la confirmation des premiers cas, le Cameroun a activé le Système de Gestion des Incidents (SGI). Plusieurs mesures ont été promulgués pour lutter contre la maladie notamment la restriction des déplacements et de l’activité économique (par exemple, fermeture des lieux de travail et les écoles, interdiction des rassemblements de plus de dix personnes, limitation des voyages) mais aussi en respectant les mesures barrières telles que la distanciation sociale, le lavage des mains, le port des masques, etc. Le gouvernement camerounais a également préparé un plan de préparation et d’intervention COVID-19 de 600 millions de dollars pour répondre à la crise. Analyser les effets des arrangements institutionnels, financiers, ainsi que les décisions de mobilisations et d’affectation des ressources permet de comprendre en profondeur l’efficacité et l’efficience des interventions effectuées dans la riposte contre la COVID-19.

Les arrangements institutionnels et financiers

Les mesures de financement ont joué un grand rôle pour faciliter une réponse rapide et organisée de la riposte notamment par la fourniture des services appropriés et l’élimination des obstacles financiers pour permettre un diagnostic et un traitement rapide contre la Covid-19. Un Compte d’Affectation Spéciale[1] désigné CAS COVID-19 a été créé par le Président de la République avec une dotation initiale d’un milliard de Franc CFA. Le CAS COVID-19 visait à donner une matérialité budgétaire au « Fonds spécial de solidarité nationale pour la lutte contre le coronavirus et ses répercussions économiques et sociales » et à favoriser un meilleur suivi de l’utilisation des ressources mobilisées dans le cadre de la riposte et de répondre à l’exigence de transparence et de redevabilité.

Le fonds est structuré en quatre programmes alignés sur la stratégie globale de riposte contre la pandémie notamment le renforcement du système sanitaire, la résilience économique et financière, le renforcement de la recherche et de l’innovation et la résilience sociale et l’approvisionnement stratégique. Le CAS COVID-19 a été organisé en ressources et en emplois sous forme d’une part de  recettes constituées par les versements du budget général, les versements à caractère non-fiscal des personnes physiques ou morales pour la lutte contre le coronavirus, les contributions des partenaires techniques et financiers (Fonds Monétaire International, Banque Mondiale, etc.) sous forme de dons ou de prêts ; et d’autre part de dépenses qui correspondent à l’atteinte des objectifs du plan global de riposte. Tandis que le plafond des ressources destinées à approvisionner le fonds a été fixé à 180 milliards de francs CFA pour l’exercice 2020 par l’Assemblée Nationale, les contributions individuelles comprises entre 20 000 et plus d’un million de francs CFA se faisaient par virement bancaire, par chèque ou par dépôt. Plusieurs administrations étaient bénéficiaires car une Task Force avait été mise sur pied pour prendre les décisions d’allocation des ressources dans le cadre de la riposte. La coordination était faite selon une approche multisectorielle, un comité interministériel coordonné par le premier Ministre, Chef du Gouvernement.

Le gouvernement camerounais a également eu recours aux procédures exceptionnelles et dérogatoires notamment la passation des marchés spéciaux par le Ministre de la Santé Publique pour l’acquisition des équipements, des consommables et la réalisation des prestations, ce qui a soustrait les marchés COVID-19 à toutes les procédures de passation des marchés publics ; on note aussi l’exonération de la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA) et des droits de douanes sur tous les équipements et consommables acquis. Tout ceci a considérablement réduit le temps d’attente pour le paiement des prestataires et favoriser l’allocation rapide des ressources.  « Bon, pour le paiement des prestataires, le ministère a bénéficié des marchés spéciaux, l’opération des marchés spéciaux du Président de la république, qui a permis que les marchés puissent être passés, sans passer par l’ensemble des commissions habituelles, dont le dispositif était allégé tout comme le paiement qui devait également suivre un chemin plus allégé que le chemin normal de paiement. », affirme un informateur.

Les instruments de mise en œuvre de certains régimes de financement de la santé, à l’instar du Financement Basé sur la Performance (FBP) ainsi que les modalités de paiement des prestataires ont été revus notamment : les indicateurs de la COVID 19 ont été ajoutés dans la grille d’évaluation des acteurs, un mécanisme de mise à disposition des avances des ressources financières aux formations sanitaires (FOSA) avant la vérification des soins a été mis en place pour permettre à ces dernières d’avoir des fonds de manière régulière pour mieux fonctionner. Aussi, les coûts des indicateurs ont été revalorisés.

Décisions de mobilisations et d’affectation des recettes

Avec la crise, il y a eu une réallocation dans le budget des Ministères. Tous les ministères ont revu leur budget pour pouvoir dégager un montant pour la riposte à la COVID-19 : « Bon, vous savez qu’on est dans un contexte de rareté des ressources et la crise sanitaire est arrivée de façon subite !… Bon le gouvernement a vraiment… il y a eu beaucoup de restrictions, le gouvernement est même allé jusqu’à revoir les budgets de tous ses ministères pour pouvoir tirer ci et là pour mettre dans la cagnotte de la prise en charge Covid, donc ça n’a pas été vraiment facile pour le gouvernement… La planification de départ on a eu à modifier beaucoup de choses pour pouvoir dégager un peu les fonds pour la prise en charge des cas covid, donc ça n’a pas été facile pour le gouvernement. On a dû réajuster beaucoup de choses pour pouvoir faire face. », relève un acteur institutionnel.

En effet, dans le cadre de la riposte, on a assisté par exemple à la révision de la  loi No 2019/023 du 24 décembre portant loi de finances de la République du Cameroun pour l’exercice 2020[2]. Certaines administrations en dehors de la santé, de l’éducation, de la formation, des affaires sociales et de la promotion de la femme ont perdu en moyenne 20% de leur budget initial. En effet, les prévisions des recettes et des dépenses du budget général voté à   4951,7 milliards de Francs CFA ont connu une baisse en valeur absolu de 542, 7 milliards de Francs CFA et de 11% en valeur relative, ramenant les dépenses globales à un montant de 4409, 047 milliards de Francs CFA.

Au niveau des projets tels que celui du FBP, il y a eu une activation de la composante d’intervention d’urgence contingente (CERC), ce qui a permis de mobiliser un montant de 5 millions de Francs CFA. Les partenaires financiers ont également été mis à contribution pour la mobilisation des ressources. Les fonds étaient orientés vers des lignes de dépenses précises telles que la prise en charge des patients COVID-19, la recherche active des cas, la sensibilisation, la prévention et la désinfection. Aucune structure de prise en charge n’avait l’autonomie sur les décisions d’allocation des ressources : « Les fonds que nous avons reçu sont arrivés avec des rubriques de dépenses… Les lignes de dépenses étaient la motivation du personnel, les différents acteurs impliqués, c’était pour le fonctionnement du système de gestion régional, pour l’investigation des alertes, l’hygiène et la décontamination. », déclare le responsable d’une formation sanitaire.

Mécanismes mis en place pour le paiement des prestations et du personnel de santé dans le cadre de la riposte à la COVID-19

Au Cameroun, le financement des soins repose dans sa large majorité sur les ménages, avec plus de 70,6% effectués à travers les paiements directs. Pour ce qui est de la COVID-19, la prise en charge des malades était gratuite, selon le discours officiel des autorités gouvernementales en général et du Ministre de la Santé Publique en particulier diffusé dans les médias. Tous les intrants liés au protocole de prise en charge en vigueur dans le pays, à savoir la combinaison de l’hydroxy chloroquine, l’azytromicyne, le paracétamol et le zinc, étaient fournis par le Ministère de la Santé Publique. A cela s’ajoutait l’hébergement et la restauration : « …  Le gouvernement a décrété la gratuité des soins liés au COVID-19, donc quand un malade arrive dépisté COVID-19, il est directement référé dans le centre de prise en charge agréé où il est pris en charge gratuitement…Donc la prise en charge est gratuite, supportée par l’Etat…ça veut dire que le malade ne débourse aucun franc, c’est l’Etat qui paye au compte du malade : la prise en charge est gratuite. », atteste un professionnel de santé.

Toutefois, sur le plan pratique, les FOSA d’une part étaient souvent en rupture de certains médicaments tels que le Zinc, des antibiotiques ou anticoagulants que les patients devaient acheter par eux-mêmes : d’autre part, certaines structures hospitalières ne possédaient pas de grande capacité à tester les usagers. En réalité, l’administration des tests Covid-19 était parfois volontairement limiter pour éviter les ruptures. Les usagers étaient quelquefois renvoyés ou orientés vers d’autres centres de dépistage. Par ailleurs, le scanner thoracique, inaccessible financièrement à la plupart des patients, était le mode privilégié de diagnostic de bon nombre de formations sanitaires privées. Dans une région du grand Nord Cameroun, des patients ont fait face à de longues attentes pour obtenir leurs résultats de test COVID avant d’être admis au sein de la formation sanitaire malgré leur état de fragilité, le dispositif nécessaire pour les tests se trouvant à l’extérieur de la ville. Le problème de l’accès aux soins est relevé ci-dessous par un professionnel de la santé : « … je prends un cas actuellement, nous sommes en rupture de médicaments actuellement …tu voies et…on se retrouve …aujourd’hui on a 11 cas positifs et les 11 positifs sincèrement ça n’a pas été facile de faire des ordonnances sans médicaments …vous allez faire partir des personnes sachant qu’il est positif, qu’ils sont anxieux, sans médicaments… ». Il apparait ainsi que la gratuité de la prise en charge de patients COVID-19 a connu de considérables défis sur le terrain, traduisant la distance entre la formulation des politiques (théorie) et leur mise en œuvre (réalité), surtout quand celles-ci utilisent une approche top-dow comme cela en a été le cas dans la lutte contre la pandémie liée à la COVID-19 au Cameroun.

Avec la dotation des fonds COVID-19, le personnel de santé et les bénévoles recevaient des primes mensuellement. Les conditions de paiement de primes variaient en fonction des FOSA. Le paiement était déterminé par : le quota de nombre de personnes testées, le nombre des missions effectuées, les critères de performance tels que la ponctualité, l’assiduité, la participation aux réunions, le grade du personnel impliqué, etc. Cependant, cette motivation « n’est pas à la hauteur » des risques liés à la pandémieet certains critères de paiement n’ont « rien à voir » avec la prise en charge de la COVID-19. Le gouvernement a recruté plusieurs volontaires pour renforcer les activités de sensibilisation, de diagnostic et de prise en charge. Dans plusieurs cas, on a assisté à des volontaires qui déclaraient avoir travaillé plusieurs mois sans rien recevoir comme paiement salarial ou prime de motivation, ou alors dans certaines formations sanitaires dont le personnel critiquait la façon de répartir les primes.

Efficacité et efficience des ressources allouées

Au début de la riposte, la prise en charge des cas COVID-19 était centralisée au niveau de Douala et Yaoundé, les deux grandes villes du pays. L’état camerounais a opté pour la décentralisation qui a finalement été le principal pilier de lutte contre la pandémie. En effet, la gestion de proximité a été transférée aux délégations régionales de la santé ainsi qu’aux districts de santé ; les hôpitaux régionaux quant à eux ont été institués en centres de prise en charge des malades COVID-19. Des fonds ont été directement alloués à ces derniers pour la préparation et la réponse à la pandémie, dans l’intention d’améliorer l’efficience technique et l’efficacité de la riposte. Cette décentralisation semble avoir aidé à améliorer l’accès aux intrants, permis d’impliquer davantage de personnel dans la lutte, contribué au dépistage massif des populations et amélioré la gestion des alertes.

A ce niveau, la prévention a été le choix stratégique par excellence bien que non basé sur des données probantes. Il était davantage question de limiter la propagation de la maladie et la transmission intra hospitalière et de maximiser la protection du personnel. Les actions liées à la prise en charge des cas concernaient l’établissement d’un protocole de prise en charge national en fonction des cas, des médicaments à utiliser et de la démarche de soins et également en fonction des cas sévères, des cas simples, ainsi que la mise en place des structures de prise en charge.

Cependant, on constate que dans la répartition des ressources notamment financières, les districts avaient reçu des montants identiques ; dix millions de FCFA par district indépendamment de la situation épidémiologique et des réalités contextuelles. Aussi, les rubriques étaient insuffisantes par rapport aux besoins. Les enveloppes n’ont pas permis de combler les attentes de certains districts de santé par exemple. Bien qu’étant une « bouffée d’oxygène », des mouvements d’humeur ont été enregistrés en ce qui concerne la motivation du personnel impliqué dans la riposte contre la Covid-19 dans certaines régions car la répartition des ressources était juste faite de façon aléatoire sans aucun lien avec les indicateurs liés à la prise en charge de la COVID-19 : « L’administration s’est chargée elle seule de répartir les lignes budgétaires en fonction des priorités. Toujours est-il que nous on a été un peu comme des… on va dire des exécutants ça veut dire on vous dit, voilà ce que vous allez faire, voilà ce que vous avez droit, c’est vrai qu’à un moment on a revendiqué par rapport à ce qui se faisait ailleurs comme je vous ai dit, mais ça n’a pas eu un grand impact puisque jusqu’à présent la démotivation est arrivée bien après vous voyez. Depuis beaucoup de personnes sont démotivées, ils ne veulent plus se donner à fond, certains disent ils ne voient pas la peine, l’utilité de risquer sa vie pour…voilà donc on a fait face vraiment comme je vous dis à beaucoup de burnout du personnel impliqué dans la riposte, ils ne veulent plus s’impliquer s’il n’y a pas de motivation. », confesse le responsable d’une formation sanitaire.

Les formations sanitaires agréées pour la prise en charge des cas ont connu une perturbation de leurs revenus eu égard à la baisse drastique de leur taux de fréquentation. La pandémie a eu un impact sur les consultations, les examens paracliniques, la vaccination, etc. de telle sorte que dans certaines FOSA les quotes-parts ont diminué de plus de 70%. La présente pandémie à coronavirus a été source d’une importante de crise du système de santé au Cameroun, mais constitue dans le même moment une opportunité pour des réformes en profondeurs.  Si le gouvernement avec les partenaires financiers a mobilisé un certain nombre de ressources qui ont été des appuis considérables dans la lutte contre la COVID-19, il n’en demeure pas moins que la question de l’allocation et de l’utilisation de ces ressources vers une plus grande efficacité et efficience mérite d’être regardée de près. Les fonds destinés à la riposte contre la COVID-19 ont été orientés vers une réponse à deux vitesses. Il a été question de privilégier de prime abord la prévention, puis la prise en charge. Le niveau de préparation du Cameroun pour des futures ripostes reste à être amélioré. Il sera question par exemple de pérenniser le numéro d’urgence afin qu’il soit utilisé pour d’autres pandémie telle que le choléra ; de prévoir un budget pour la prise en charge des urgences ; de recycler le personnel du niveau opérationnel et de l’associer à tous les niveaux de décision en cas de pandémie ; d’équiper dès à présent les services de réanimation ; de créer des centres spéciaux dans les régions ou les districts prêts à intervenir en cas de pandémie, de créer des laboratoires de biologie moléculaire opérationnels et éventuellement d’initier des actions favorisant le développement locale d’une réelle industrie pharmaceutiques. Il est question également de lutter contre les inégalités en facilitant l’accessibilité aux soins en contexte de pandémie.


[1] Circulaire No 00000220/C/MINFI du 22 juillet 2020 précisant les modalités d’organisation, de fonctionnement et de suivi-évaluation du Fonds Spécial de Solidarité Nationale pour la Lutte contre le Coronavirus et ses répercussions économiques sociales

[2] Ordonnance No 2020/001 du 03 juin 2020 modifiant et complétant certaines dispositions de la loi No 2019/023 du 24 décembre 2019 portant loi de finances de la République du Cameroun pour l’exercice 2020.

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