La communication est une composante clé de la riposte contre la COVID-19. Au début de l’épidémie au Burkina Faso, une ligne verte d’appels téléphoniques a été mise en place pour permettre à la population d’alerter sur les cas suspects et les cas contacts. Cette ligne verte était au centre du dispositif de communication autour de la maladie, avec des dizaines de milliers d’appels par jour au départ. Mais ce nombre a considérablement baissé au bout de quelques semaines. Dans ce billet de blog, nous examinons les raisons possibles de cette baisse et, plus globalement, l’importance d’un bon investissement dans les stratégies de communication autour de la maladie.
Le Burkina Faso a enregistré ses premiers cas de COVID-19 le 9 mars 2020. Le nouveau coronavirus, vu au départ par une grande partie de la population comme une « maladie des pays occidentaux » qui ne peut résister à la chaleur du Burkina Faso, et/ou comme une « maladie des personnes riches » qui touche une certaine élite, venait de franchir ses frontières. Dans son plan de riposte sanitaire, le ministère de la Santé a mis en place une cellule d’alerte et un seul centre d’appels pour tout le pays, dans la capitale Ouagadougou. Ce centre était initialement doté de deux numéros téléphoniques à titre onéreux, afin de recevoir les appels d’urgence des individus qui présenteraient des signes faisant évoquer la COVID-19.
Des dizaines de milliers d’appels par jour au début…
Très vite, ce système d’alerte téléphonique à 2 numéros a été submergé et ceux qui tentaient en vain de joindre la cellule d’alerte n’ont pas tardé à exprimer leurs plaintes via les émissions radiophoniques interactives ou les réseaux sociaux. Pour parer à cette situation, le gouvernement, avec l’appui des compagnies de téléphonie mobile, a mis en place une ligne verte, le 3535, composée de plus de 47 postes téléphoniques gérés essentiellement par des volontaires. Ces volontaires recevaient par jour environ 50 000 appels d’urgence venant de tout le pays, contre une modeste rémunération d’environ 10 USD par jour. En réalité, le sentiment d’invulnérabilité vis-à-vis du coronavirus qui animait les Burkinabè au départ a vite fait place à la psychose après l’annonce, le 18 mars 2020, du premier cas de décès lié à la COVID-19. Ce décès a d’autant plus inquiété les populations qu’il était le premier en Afrique Sub-Saharienne. C’était en fait une déconstruction du mythe de la résistance de l’homme noir au coronavirus, né de la guérison d’un étudiant noir du COVID-19 en Chine et largement relayé en Afrique Sub-Saharienne. La psychose de la population a aussi été alimentée par des modélisations mathématiques qui prévoyaient une explosion des cas de COVID-19 dans le pays. Tout le monde se sentait maintenant exposé à un danger imminent et était enclin à alerter les services sanitaires au moindre symptôme pouvant évoquer la COVID-19. C’est d’ailleurs ce que traduisent ces propos d’un agent du comité de surveillance : « ici on ne dort plus. C’est du 24 h/24 ».
…puis une baisse soudaine du nombre d’appels, accompagnée de menaces et d’insultes à l’égard des opérateurs du centre d’appels
Environ un mois après le début de l’épidémie au Burkina Faso, le centre d’appels a commencé à observer une baisse significative du nombre d’appels d’urgence. De 50 000 appels par jour au début, les opérateurs n’en recevaient désormais que 14 000 à la mi-avril, et cette tendance ne s’est pas inversée depuis lors, jusqu’à environ 1 000 à 4 000 appels par jour en août 2020. Parallèlement à cette diminution du nombre d’appels reçus, les opérateurs du centre d’appels enregistraient de plus en plus d’appels aux motifs impertinents souvent accompagnés de menaces et d’injures à leur encontre. « Il y a des gens qui appellent et menacent de venir nous attaquer et nous frapper », confie un responsable du centre d’appels. Le 17 juin 2020, sur 9 052 appels reçus de toutes les régions du pays par les opérateurs du centre d’appels, il n’y en avait que 6 en lien direct avec la maladie, le reste consistant en des menaces ou injures envers les opérateurs, ou en des plaintes à l’égard des autorités.
Les raisons probables de la baisse des appels et des plaintes
Elles sont nombreuses. On peut d’abord évoquer l’insatisfaction de la population vis-à-vis des prestations du centre d’appels. En effet, la majorité des opérateurs officiant dans le centre d’appel étaient des volontaires qui, initialement, n’avaient reçu aucune formation sur la manière de communiquer efficacement avec la population sur les manifestations de la maladie, les rumeurs qui l’entourent ou les inquiétudes qu’elle soulève. En plus, beaucoup d’utilisateurs de la ligne 3535 se plaignaient d’avoir attendu en vain la visite de l’équipe d’investigation qui leur avait pourtant été promise, ou d’avoir tenté en vain de joindre un interlocuteur au bout du fil. Tout ceci a pu engendrer des insuffisances dans la communication et alimenter des frustrations auprès de certains appelants, et la « mauvaise publicité » qui s’en est suivie a pu démotiver plus d’un à composer le 3535.
Par ailleurs, la communication du gouvernement autour de la gestion de l’épidémie a comporté des insuffisances qui ont favorisé le foisonnement de fausses rumeurs et entrainé un certain discrédit de l’action gouvernementale. Comme l’a reconnu un membre du gouvernement, « il y a eu effectivement des couacs et des ratés ». En outre, les mesures prises par le gouvernement pour limiter la propagation de la maladie, notamment la fermeture des frontières aériennes et terrestres, des marchés, des lieux de cultes ; le couvre-feu et la mise en quarantaine des villes touchées par la maladie ont exacerbé les difficultés financières des ménages sans revenu stable et vivant au jour le jour. Pour beaucoup, « mieux vaut sortir contracter le coronavirus avec la chance de guérir, que de rester à la maison et mourir à coup sûr de la faim » – c’est dire que ces derniers n’avaient plus vraiment la tête à la maladie. Pire, les « fake news » ont fini par convaincre une partie de l’opinion nationale que la maladie n’existait pas au Burkina Faso. D’autres en sont même arrivés à voir la COVID-19 comme « un complot du gouvernement » visant à attirer des financements de bailleurs internationaux et de généreux donateurs au niveau national. Dans une telle ambiance, la méfiance s’est installée et la ligne verte 3535 a été de moins en moins utilisée par la population.
En outre, la méfiance de la population a été exacerbée par les témoignages de certains patients souffrant de COVID-19 ou leur entourage sur la mauvaise qualité de la prise en charge hospitalière. Ces derniers dénonçaient, entre autres, la mauvaise qualité des repas, l’absence ou le mauvais état des toilettes, ou encore des salles d’hospitalisation aux allures de « prison ». Ces témoignages dissuasifs concernaient également le refus du personnel soignant d’admettre des accompagnants de malades à l’hôpital, la non restitution des corps aux familles en cas décès, ou la mauvaise communication entre soignants et famille des patients autour de la prise en charge de la maladie. Des familles ont publiquement affirmé que leurs proches étaient décédés à l’hôpital du fait d’erreurs médicales ou d’un retard dans la prise en charge.
Enfin, il faut souligner le poids de la stigmatisation. En effet, des personnes atteintes de COVID-19 témoignaient faire l’objet de stigmatisation au sein de leur communauté. Même après guérison, leurs voisins ou collègues de travail les évitaient bien souvent, même si cela était parfois fait de façon implicite. Cette situation aurait conduit certaines personnes à cacher leurs symptômes et à éviter d’appeler la ligne verte de peur d’être déclarées positives et de subir cette stigmatisation.
Que faire pour améliorer l’efficacité de la ligne verte ?
La ligne verte constitue une importante source par laquelle la population accède à l’information sur la COVID-19, et le principal moyen d’alerte sur les cas suspects et les cas contacts. En vue d’optimiser son efficacité, il convient d’y faire de bons investissements, notamment dans (i) la communication sur la maladie, (ii) le recrutement, la formation et la motivation des opérateurs du centre d’appels, et (iii) les équipements.
En effet, investir dans la communication de crise en prenant en compte les aspects socio-culturels est capital pour améliorer le climat de confiance entre la population et le système de santé, en particulier entre malades et soignants. Un tel investissement faciliterait également la réceptivité des informations données par le gouvernement aux populations. Ceci renforcerait alors la qualité de la prise en charge des malades, limiterait la prolifération des fausses rumeurs ainsi que la stigmatisation des personnes atteintes et, in fine, favoriserait l’attractivité de la ligne verte.
Aussi, les opérateurs du centre d’appels devraient bénéficier, très tôt, d’une formation sur la manière de communiquer efficacement avec les utilisateurs de la ligne verte. En effet, les personnes qui appellent dans un contexte d’urgence sont souvent inquiètes et ont besoin qu’on tende une oreille attentive, avisée et compatissante à leurs préoccupations. De plus, il est important de recruter un nombre adéquat d’opérateurs et de les motiver suffisamment afin de pouvoir faire face au flux élevé des appels, ainsi qu’à la charge de travail que cela induit.
Enfin, il faudrait investir dans les équipements du centre d’appels, notamment dans l’acquisition de postes téléphoniques en nombre suffisant. Mieux, il faudrait multiplier les centres d’appels à travers le pays (décentralisation) pour désengorger le seul centre existant dans la capitale.
C’est à ce prix que les populations seraient encouragées à appeler le numéro vert pour s’informer ou pour alerter en cas de symptômes évocateurs de la maladie ou de contact avec un malade. C’est aussi à ce prix que le ministère de la Santé serait mieux armé pour faire face à de potentielles futures urgences sanitaires où le recours à une ligne verte s’avèrerait nécessaire.
Profil des auteurs
S Pierre Yaméogo est médecin, spécialiste en santé publique, Secrétaire Technique en charge de la Couverture Sanitaire Universelle et de One Health au ministère de la Santé du Burkina Faso. Il est membre du Comité national de gestion de la crise Covid-19 présidé par le Premier ministre et assure un appui au suivi des activités de lutte contre la COVID-19 au Burkina Faso. En outre, il apporte son appui dans la coordination efficace des interventions des partenaires techniques et financiers dans cette lutte au sein du ministère de la Santé.
Orokia Sory estassistante de recherche à RESADE (Ouagadougou, Burkina Faso). Elle est macro-économiste de formation et experte en santé publique, spécifiquement en politiques et systèmes de santé.
Yamba Kafando est géographe de la santé, expert en financement de la santé et en analyse des politiques et systèmes de santé. Il est actuellement Directeur des opérations et chercheur à RESADE.
Charlemagne Tapsoba est chercheur au Centre de Recherche en Santé de Nouna (Burkina Faso) et chercheur associé à RESADE (Ouagadougou, Burkina Faso). Son domaine de prédilection est la recherche sur les politiques et systèmes de santé. Il a conduit plusieurs études sur la thématique de l’achat stratégique.
Issa Kaboré est médecin, assistant de recherche à Recherche pour la Santé et le Développement (RESADE) (Ouagadougou, Burkina Faso). Il a été agent de première ligne dans la lutte contre la COVID-19 au Burkina Faso.
Joël Arthur Kiendrébéogo est médecin, économiste de la santé, enseignant-chercheur à l’Université Joseph Ki-Zerbo et chercheur associé à RESADE (Ouagadougou, Burkina Faso). Il rédige actuellement une thèse de doctorat en santé publique à l’Institut de Médecine Tropicale (IMT) d’Anvers (Belgique) et à l’Université de Heidelberg (Allemagne), sur les processus d’apprentissage dans les politiques de financement de santé et plus spécifiquement l’achat stratégique dans le secteur de la santé au Burkina Faso.