Dans le cadre de la riposte à la COVID-19, le Burkina Faso a bénéficié d’un élan de solidarité nationale et internationale qui s’est manifesté à travers des dons, appuis et soutiens multiformes. Pour assurer un suivi régulier et une gestion transparente et équitable des ressources reçues, le ministère de la Santé a entrepris la mise en place d’une cartographie dynamique de ces ressources. Nous partageons dans ce billet de blog l’expérience du Burkina Faso en la matière.
Le Burkina Faso a officiellement enregistré son premier cas de COVID-19 le 9 mars 2020 et son premier décès lié à cette maladie dans la nuit du 17 au 18 mars 2020, faisant de lui le premier pays en Afrique sub-saharienne à enregistrer un cas de décès lié à la COVID-19. Face à cette situation, le Chef de l’État a prononcé un discours le 20 mars au cours duquel des mesures de restriction ont été prises, en plus des messages à l’endroit des populations pour adopter les mesures barrières et l’hygiène des mains (lavage, utilisation du gel hydro alcoolique). Il s’agissait, au plan des libertés individuelles, de l’interdiction des regroupements de plus de 50 personnes ; de la fermeture totale des salles de cinéma, de jeux et de spectacles, ainsi que des marchés ; de la fermeture partielle des restaurants et des bars, ces derniers ne pouvant vendre que des plats ou des boissons à emporter ; de l’instauration d’un couvre-feu de 19h00 à 5h00 du matin sur l’ensemble du territoire. Sur le plan des transports, les frontières terrestres et aériennes ont été fermées. Au plan politique, il a été décidé la suspension des opérations d’enrôlement biométrique et de délivrance des cartes nationales d’identité qui étaient menées dans le cadre des élections présidentielles et législatives, prévues en novembre 2020. D’autres mesures de restriction ont été prises comme la fermeture des établissements scolaires et universitaires et la mise en quarantaine des villes ayant enregistré au moins un cas de COVID-19. Dans un second discours à la nation le 2 avril 2020, le Chef de l’État, face aux conséquences des mesures de restriction sur les conditions de vie des ménages, décidait d’un certain nombre de mesures d’accompagnement touchant tous les secteurs de la vie économique, notamment des allègements fiscaux, des subventions totales ou partielles et des facilités d’accès à des crédits bancaires.
Dans ce contexte, le ministère de la Santé a élaboré un plan de riposte d’une valeur d’environ 178 milliards de francs CFA. Le coût de l’ensemble des mesures d’accompagnement, y compris le plan global de riposte sanitaire, a été estimé à environ 394 milliards de FCFA, soit 4,45 % du Produit Intérieur Brut (PIB). Dans le même temps, du fait des conséquences économiques de la pandémie, il est attendu une réduction du taux de croissance de 6,3 % à 2 % en 2020 et une baisse des recettes publiques estimée à 306 milliards de FCFA, soit un déficit budgétaire de 5 %.
Un appel à la solidarité nationale et internationale
Face à cette situation délicate sur le plan économique, le gouvernement du Burkina Faso a lancé un appel à la solidarité nationale et internationale, particulièrement en appui au secteur de la santé afin de mobiliser les ressources nécessaires pour financer le plan de riposte sanitaire. En effet, cette pandémie de la COVID-19 intervient dans un contexte où le système de santé du Burkina Faso est déjà confronté à de nombreuses difficultés, notamment un sous-financement par rapport aux besoins, une insuffisance en ressources humaines qualifiées et une faible disponibilité des équipements et du matériel médico-technique. Le système de santé burkinabè ne disposait pas d’assez d’équipements de protection individuelle pour les agents de santé, d’appareils et de tests de diagnostic, de matériel de réanimation, de médicaments et consommables pour faire face à un scénario catastrophique lié à la COVID-19 (débordement des services de santé).
L’appel à la solidarité a eu un écho favorable et s’est manifesté à travers des dons et autres soutiens multiformes, en nature, en numéraires ou en appui technique dans le domaine de la recherche ou des interventions sur le terrain. Ceux-ci provenaient d’institutions gouvernementales, d’initiatives privées, des populations, des structures associatives ou des partenaires techniques et financiers. Pour assurer une bonne visibilité et une allocation équitable des ressources financières et matérielles mobilisées, et dans un souci de responsabilisation et de transparence, le ministère de la Santé a réfléchi à la nécessité de disposer d’un outil qui lui permettrait d’assurer une gestion et un suivi régulier desdites ressources. C’est ainsi que l’idée de disposer d’une cartographie dynamique des ressources mobilisées pour la lutte contre la COVID-19 est née et que l’ONG internationale Clinton Health Access Initiative (CHAI) a décidé d’accompagner le ministère de la Santé dans le développement de cet outil, avec l’appui financier de la Fondation Bill et Melinda Gates.
Qu’est-ce que cette cartographie dynamique ?
En réalité, l’idée de la mise en place d’une cartographie dynamique des ressources existait au sein du ministère de la Santé bien avant l’arrivée de la pandémie de la COVID-19. Une proposition d’architecture avait été faite par les techniciens du ministère de la Santé et présentée aux partenaires techniques et financiers lors d’une rencontre de cadrage sur la cartographie dynamique, tenue le 10 décembre 2019 à Ouagadougou. L’objectif d’une cartographie dynamique est de disposer de données régulières sur l’état de distribution des ressources humaines, matérielles ou financières au niveau national, à travers le suivi de certains indicateurs spécifiques. Il s’agit d’un outil d’aide à la décision permettant de disposer d’un tableau de bord de suivi des ressources disponibles sur l’ensemble du territoire, de relever les endroits où des lacunes existent, et d’orienter les futurs interventions ou appuis afin d’assurer une distribution équitable des ressources (prévention de doublons ou de lacunes).
La crise de la COVID-19 a constitué une opportunité pour matérialiser cette idée de cartographie dynamique. Spécifiquement, il s’est agi de développer un outil sur la base de celui conçu par CHAI sur Excel afin de répertorier tous les dons reçus dans le cadre de la lutte contre la COVID-19 au Burkina Faso, qu’ils soient en nature ou en numéraires, par virement bancaire ou par chèque. Le paramétrage de l’outil prend en compte les neuf rubriques telles que définies dans le plan national de riposte sanitaire : i) la prévention et le contrôle de la maladie, ii) la coordination, iii) la logistique, iv) la surveillance, v) la prise en charge des cas, vi) les activités de laboratoire, vii) la communication, viii) la sécurité, et ix) la recherche. Les dons sont enregistrés soit au niveau central, soit au niveau périphérique. Au niveau central, les ressources sont souvent affectées par le donateur directement à une rubrique spécifique. Au niveau périphérique, certains partenaires font directement leurs dons à l’établissement sanitaire de leur choix. Les ressources dont la destination n’a pas été spécifiée par le donateur sont affectées par le ministère en fonction des besoins de la riposte. Le point de la situation des dons reçus et de la répartition des ressources est fait de façon régulière, et de préférence mensuellement.
Apport de la cartographie dynamique dans la gestion et le suivi des ressources mobilisées
Les résultats de la cartographie des ressources montrent que pour un besoin de financement de 178 milliards FCFA (environ 300 millions de dollars US) du plan national de riposte sanitaire, l’ensemble des financements et dons en matériels reçus à la date du 05 juin 2020 s’élevaient à près de 67 milliards FCFA (environ 118 millions de dollars US, soit 38 % du montant à mobiliser), dont 98 % étaient ciblés (c’est-à-dire envoyé par les donateurs à des rubriques spécifiques, telles que des établissements sanitaires, etc.). Les principaux donateurs étaient les partenaires techniques et financiers (64 % du montant mobilisé), l’État (33,5 % du montant mobilisé) et les dons privés (2,5 % du montant mobilisé). Le financement de l’État était ciblé sur des domaines précis, les dons privés étaient majoritairement non ciblés, les dons des partenaires techniques et financiers prenaient les deux formes mais étaient majoritairement ciblés.
Les résultats de la cartographie dynamique montrent cependant des disparités dans le financement des neuf rubriques du plan national de riposte sanitaire. Comparativement aux besoins, seul le volet « logistique » avait un surplus de financement (près de 44,7 milliards FCFA budgétisés contre plus de 53,2 milliards FCFA mobilisés, soit 119 % de ressources mobilisées). Suivaient le volet « communication » avec47 % (près de 1,4 milliards FCFA budgétisés contre près de 646 millions FCFA mobilisés) des besoins de financement mobilisés, et le volet « surveillance » avec 21 % (plus de 5,7 milliards FCFA budgétisés contre près de 1,2 milliards FCFA mobilisés) des besoins mobilisés. Les domaines les moins financés étaient la « recherche » avec 5 % (1 milliard FCFA budgétisés contre 52,4 milliards FCFA mobilisés) des besoins de financement mobilisés et la « prise en charge des cas » avec 2 % (plus de 57,8 milliards FCFA budgétisés contre un peu plus de 1,03 milliards FCFA mobilisés) des financements mobilisés.
En ce qui concerne les dons de matériel pour faire face à la COVID-19, ceux-ci avaient également une répartition inégale, notamment entre les 13 régions sanitaires du pays. Par exemple, à la date du 11 mai 2020, la région du Centre-Nord a reçu 95 thermomètres laser contre seulement 5 pour la région de la Boucle du Mouhoun. La région du Centre-Nord a également reçu 511 dispositifs de lave-mains alors que la région du Centre-Ouest n’en a reçu que 2. Quant aux bavettes, la région du Nord en a reçu 73 293 contre 1 628 pour la région de la Boucle du Mouhoun. On constate que ces dons ne tenaient pas compte de la prévalence de la maladie dans les différentes régions.
Un outil certes utile, mais dont l’utilisation comporte des défis
La cartographie dynamique permet aux gestionnaires de prendre des décisions de manière transparente et équitable et d’assurer une gestion efficiente des ressources destinées à la lutte contre la COVID-19. Mais sa mise en œuvre comporte un certain nombre de défis. Nous pouvons d’abord relever le fait qu’il s’agit d’une nouvelle approche qui nécessite, outre l’assistance technique et la formation dans son utilisation, une pleine adhésion et appropriation de l’ensemble des acteurs du système de santé. Il faudrait alors travailler à vaincre les réticences et résistances qui accompagnent généralement tout nouveau processus impliquant des changements dans les habitudes des acteurs. Un fort leadership de la part du ministère de la Santé est alors indispensable pour une forte et pleine adhésion de l’ensemble des acteurs. Cette adhésion est d’autant plus cruciale que la plus-value et l’efficacité de cette cartographie résident dans son caractère dynamique et la fiabilité des données utilisées pour la renseigner. C’est dire donc que les données doivent être régulièrement mises à jour, de façon manuelle ou automatique, et que tous les acteurs impliqués doivent être engagés dans une dynamique de transparence et de responsabilité. Un mécanisme de contrôle qualité des données devrait aussi être mis en place par le ministère de la Santé pour empêcher la manipulation de ces données. Un dernier défi qu’on peut relever est l’utilisation effective de la cartographie dynamique comme outil de planification, de distribution équitable des ressources et de prise de décision. On touche ici à la question de la pérennité, et donc de l’institutionnalisation de l’outil, car il n’est pas rare que des outils de planification bien conçus soient peu ou pas utilisés par les acteurs du système de santé. Ce qui rejoint la nécessité, précédemment évoquée, d’une pleine adhésion et d’une bonne appropriation de la cartographie dynamique par l’ensemble de ces acteurs.
Les perspectives
Ces perspectives concernent justement l’institutionnalisation de la cartographie dynamique au niveau du système de santé. Pour ce faire, le ministère de la Santé a adopté la stratégie d’un déploiement progressif de l’outil tout en travaillant à relever les défis précédemment évoqués. Dans l’immédiat, le ministère de la Santé envisage la construction d’une plateforme avec mise en ligne sécurisée de la cartographie, et possibilité de rendre accessibles certaines informations au grand public. Des comptes d’accès seraient créés pour tous les acteurs concernés par l’utilisation de la plateforme pour leur permettre de faire des mises à jour régulières afin que la situation de la disponibilité et de la répartition des ressources soit connue en temps réel. Ceci permettrait de rapidement identifier les zones où des lacunes ou au contraire des doublons existent, et ainsi orienter les dotations. Ceci répondrait également à une préoccupation de la société civile qui souhaite que le gouvernement prenne “les dispositions nécessaires pour une gestion transparente des ressources mobilisées et faciliter l’accessibilité aux informations sur tous les dons collectés et leur utilisation pour un suivi-citoyen”.[1]
En dehors de la cartographie dynamique spécifique à la COVID-19, toutes les ressources financières, matérielles et humaines du ministère de la Santé pourraient progressivement y être intégrées. Concernant les ressources financières et matérielles, la cartographie dynamique permettrait, par exemple, de faire des ajustements en cours d’exercice budgétaire et des réallocations suivant les principes du budget-programme. Par rapport aux ressources humaines, l’utilisation de la cartographie dynamique serait couplée à celle de la méthode Workload Indicators of Staffing Need (WISN) de l’OMS afin de s’assurer d’un recrutement et d’une distribution adéquate du personnel de santé dans les établissements sanitaires. En outre, il est envisagé la production régulière, par exemple trimestrielle, d’un bulletin de retro information sur les niveaux de couvertures et les indicateurs afin de faire l’évaluation et de faciliter le suivi des mesures prises en lien avec la cartographie dynamique. À noter que le succès de la mise en œuvre de la cartographie dynamique sera déterminant pour celui de l’approche « one plan, one budget, one report », un autre chantier que le ministère de la Santé a enclenché dans le processus d’élaboration du nouveau plan décennal de développement sanitaire 2021-2030.
[1] https://www.aa.com.tr/fr/afrique/burkina-covid-19-le-r%C3%A9seau-anti-corruption-r%C3%A9clame-une-gestion-transparente-des-ressources/1797550
Profil des auteurs
S Pierre Yaméogo est médecin, spécialiste en santé publique, Secrétaire Technique en charge de la Couverture Sanitaire Universelle et de One Health au ministère de la Santé du Burkina Faso. Il est membre du Comité national de gestion de la crise Covid-19 présidé par le Premier ministre et assure un appui au suivi des activités de lutte contre la COVID-19 au Burkina Faso. En outre, il apporte son appui dans la coordination efficace des interventions des partenaires techniques et financiers dans cette lutte au sein du ministère de la Santé.
Orokia Sory estassistante de recherche à RESADE (Ouagadougou, Burkina Faso). Elle est macro-économiste de formation et experte en santé publique, spécifiquement en politiques et systèmes de santé.
Yamba Kafando est géographe de la santé, expert en financement de la santé et en analyse des politiques et systèmes de santé. Il est actuellement Directeur des opérations et chercheur à RESADE.
Charlemagne Tapsoba est chercheur au Centre de Recherche en Santé de Nouna (Burkina Faso) et chercheur associé à RESADE (Ouagadougou, Burkina Faso). Son domaine de prédilection est la recherche sur les politiques et systèmes de santé. Il a conduit plusieurs études sur la thématique de l’achat stratégique.
Issa Kaboré est médecin, assistant de recherche à Recherche pour la Santé et le Développement (RESADE) (Ouagadougou, Burkina Faso). Il a été agent de première ligne dans la lutte contre la COVID-19 au Burkina Faso.
Joël Arthur Kiendrébéogo est médecin, économiste de la santé, enseignant-chercheur à l’Université Joseph Ki-Zerbo et chercheur associé à RESADE (Ouagadougou, Burkina Faso). Il rédige actuellement une thèse de doctorat en santé publique à l’Institut de Médecine Tropicale (IMT) d’Anvers (Belgique) et à l’Université de Heidelberg (Allemagne), sur les processus d’apprentissage dans les politiques de financement de santé et plus spécifiquement l’achat stratégique dans le secteur de la santé au Burkina Faso.