Par Felix Abrahams Obi
Au moment où la pandémie COVID-19 fait rage, les gouvernements africains et d’autres continents sont confrontés à la difficile décision de rouvrir leurs économies et de protéger la santé et le bien-être de leurs populations. Bien que certains pays aient fait des progrès significatifs en aplatissant la courbe grâce à une combinaison d’interventions pharmaceutiques et non pharmaceutiques, le taux de nouvelles infections et de décès continue d’augmenter, en particulier aux États-Unis, en Amérique du Sud et en Afrique. Malgré le bilan épidémiologique, les décideurs politiques ont été contraints d’assouplir les mesures de confinement et de restriction des déplacements pour permettre la réouverture de différents secteurs de l’économie en plus de la reprise des déplacements locaux et internationaux.
De nombreux pays, en particulier les économies en voie de développement dont les systèmes de santé sont faibles, ont connu des ruptures de services à tous les niveaux de soins, y compris la vaccination et d’autres services essentiels et critiques. Les pays améliorent leur capacité à tester, isoler et traiter plus de patients que jamais. Avec la pénurie croissante d’équipements de protection individuelle (EPI), les agents santé en première ligne ont été confrontés à des risques accrus, certains ayant contracté le virus alors que d’autres en sont malheureusement décédés. En s’attaquant aux conséquences sanitaires et socio-économiques du COVID-19, les gouvernements africains et d’autres pays ont été confrontés à des contraintes de ressources qui ont rendu impératif l’exploration et la mobilisation de ressources supplémentaires du secteur privé pour renforcer la riposte. Outre la mobilisation des ressources nationales pour soutenir la riposte nationale au COVID-19, le secteur privé a joué un rôle essentiel en assurant la continuité des services de soins de santé primaires dans ses installations, les tests de laboratoire, la logistique et la gestion de la chaîne d’approvisionnement, la communication des risques, l’engagement des citoyens et les actions de proximité, la mise en place de banques alimentaires et d’initiatives de protection sociale, entre autres.
Quelles sont les meilleures pratiques et les modèles émergents en matière d’engagement du secteur privé durant la pandémie du COVID-19?
Récemment, le Centre de ressources pour les achats stratégiques en Afrique (SPARC) a organisé un chat sur Twitter au sujet du rôle du secteur privé dans la riposte au COVID-19, avec l’accent sur l’Ouganda. Les données disponibles montrent que le secteur privé en Ouganda et dans d’autres pays a joué un rôle crucial dans la mobilisation des ressources financières et autres, en plus d’assurer la continuité des services de santé essentiels grâce à un partenariat stratégique avec le secteur public.
Mobilisation des ressources intérieures
Pour mobiliser efficacement les ressources et l’avantage relatif du secteur privé, les pays ont adopté une variété de stratégies et d’approches PPP pour collaborer et s’engager avec le secteur privé à la suite du COVID-19. En Ouganda, un Fonds national de riposte au COVID-19 a été créé avec la participation du secteur privé. Et au Nigeria, la Banque centrale et le secteur privé structuré ont collaboré pour mettre en place la Coalition du secteur privé contre le COVID-19 (CACOVID), qui a mobilisé des millions de dollars en espèces et en dons en nature.
Améliorer les capacités de dépistage, d’isolement et de traitement
Bien que la plupart des pays disposent de politiques et de plans clairs en matière de préparation et de réponse aux épidémies, les infrastructures de santé publique et les capacités de dépistage, de recherche des contacts, d’isolement et de traitement des patients atteints de COVID-19 sont à la limite de leurs capacités face à la pandémie. Grâce à un partenariat avec CACOVID, le Nigeria a renforcé sa capacité de dépistage en étendant le réseau de laboratoires moléculaires du Centre nigérian de contrôle des maladies (NCDC) de cinq (dans quatre États) en mars 2020 à cinquante-sept (dans trente États) à la mi-juillet 2020. En plus de donner des smartphones pour les centres d’appel d’urgence du COVID-19, la saisie des données et la déclaration des cas, le secteur privé a aidé les différents États nigérians à mettre en place des centres d’isolement et de traitement sur mesure pour renforcer la réponse du gouvernement.
Faciliter la participation des citoyens et la communication sur les risques
Contrairement aux économies développées et à revenu élevé, la majorité des citoyens des pays africains qui gagnent des salaires quotidiens ont vu leurs sources de revenus bouleversées pendant le confinement du au COVID-19. La plupart d’entre eux n’ont pas pu stocker de la nourriture et des produits ménagers, et ont donc eu besoin d’une aide extérieure de la part de leurs gouvernements respectifs. Bien que les gouvernements aient apporté certains remèdes (transferts d’argent et fournitures alimentaires) par le biais de leurs programmes d’investissement social, le secteur privé et les organisations de la société civile (OSC) ont joué un rôle essentiel dans l’amélioration de l’impact humanitaire à la suite du COVID-19. En outre, le secteur privé a contribué à la diffusion de mises en garde de santé publique et a renforcé les initiatives de communication des risques en utilisant différentes approches et plateformes innovantes pour faire participer les citoyens.
Innovations dans la prestation de services
Au Nigeria, le secteur privé s’est associé au gouvernement fédéral et aux gouvernements des États pour déployer des technologies et des innovations afin d’améliorer la riposte au COVID-19. Par exemple, la crainte de contracter le virus réduisant la fréquentation des établissements de santé, une application mobile donnant accès à des consultations virtuelles au Nigeria a permis d’accroître l’innovation dans le secteur des soins de santé, en plus de soutenir la prestation et la continuité des services de santé. Une banque nigériane offre des services de télémédecine gratuits à tous ses clients pendant soixante jours grâce à cette application. Un service d’urgence médicale a été le premier à utiliser des cabines d’analyse mobiles peu coûteuses qui empêchent tout contact pendant le prélèvement d’échantillons au Nigeria.
Continuité des services
Dans les pays où certains établissements de santé publics ont été convertis en centres d’isolement et de traitement du COVID-19, les structures de santé privées ont comblé le fossé dans les cas où les patients ne peuvent pas accéder aux services des hôpitaux publics. Dans de nombreux pays, le secteur privé de la santé a fait don d’EPI tels que des masques faciaux et des désinfectants pour les mains à l’usage des agents de santé en première ligne. Au Nigeria, pour faciliter le flux et l’accès aux fonds, le gouvernement a débloqué des fonds pour les établissements de santé, à l’avance, dans le but d’offrir une bouée de sauvetage aux prestataires qui avaient subi des pertes de revenus en raison du confinement à la suite du COVID-19. Le soutien financier a permis au secteur privé, en particulier, de continuer à fournir des services essentiels, y compris des services d’urgence et d’intervention en cas d’accident pendant le confinement.
Les défis d’un véritable engagement du secteur privé dans le domaine de la santé
Bien que le secteur privé ait apporté son aide aux gouvernements africains pour faire face au COVID-19, ce secteur a également connu une contraction du marché avec une perte de revenus et d’investissements, ce qui a nécessité des interventions de la part des gouvernements.
Tout bien considéré, le potentiel du secteur privé dans le domaine de la santé n’a pas encore été pleinement exploité et déployé pour améliorer l’achat et la fourniture stratégiques de services de santé en vue de la réalisation de la couverture sanitaire universelle (CSU). Dans la plupart des pays africains, le caractère informel du secteur représente un énorme défi pour une coordination et une réglementation efficaces. Le manque de participation de ce secteur à la planification, à la mise en œuvre et au suivi des principales politiques de santé, les contraintes en matière de ressources et la diminution des effectifs entravent sa capacité à contribuer de manière significative au processus de réforme du système de santé et la capacité des gouvernements à exploiter leur capacité d’innovation ainsi que leur efficacité pour améliorer l’accès des citoyens à des soins de santé de qualité.
Nonobstant ces défis, il incombe aux organes gouvernementaux concernés d’élaborer des cadres politiques et juridiques appropriés pour faire participer le secteur privé afin de garantir la réalisation des bénéfices des partenariats public-privé (PPP). Sans un environnement favorable qui incite à investir dans le secteur privé pour la santé, les gouvernements pourraient avoir du mal à faire participer ce dernier aux PPP et à d’autres dispositifs destinés à améliorer la production et la fourniture de services de santé essentiels ; d’où l’impératif de favoriser et de renforcer leur participation active et leur appropriation de la formulation et de la mise en œuvre des politiques de santé, y compris lors des urgences de santé publique comme le COVID-19.
La création récente d’une facilité de crédit par la Banque centrale du Nigeria, destinée à amortir l’impact de la pandémie sur le secteur privé en matière de santé, constitue un pas dans la bonne direction. L’objectif général est d’accroître les investissements privés et publics dans le secteur des soins de santé et de faciliter l’amélioration des prestations de santé au Nigeria. Cette initiative est un début, mais il reste encore beaucoup à faire.
Conclusion
Le secteur privé continue de soutenir la lutte contre le COVID-19. Cependant, il est important que les gouvernements africains explorent les possibilités de renforcer les collaborations et les partenariats avec ce secteur en vue d’atteindre la couverture sanitaire universelle (CSU) sur le continent. De telles collaborations permettront de transférer et de renforcer les capacités des agents de santé à fournir des services de qualité, de favoriser les échanges d’apprentissage et le partage des meilleures pratiques, de produire des preuves pour améliorer les politiques et les pratiques ainsi que la résilience globale du système de santé pour répondre aux menaces et aux urgences sanitaires.
Felix Abrahams Obi est un spécialiste de la santé publique qui s’intéresse à la recherche sur les politiques et les systèmes de santé, au financement de la santé et à l’application des connaissances. Il est chargé de programme principal au sein de l’organisation Results for Development (R4D) et est basé au bureau du Nigeria à Abuja. On peut le joindre par courrier électronique: fobi@r4d.org